Une légende ferait des philologues des figures inadaptées à notre présent : des personnes vieillies dans les manuscrits, sans contact avec le monde extérieur, débattant entre elles de telle leçon du papyrus alpha ou du codex gamma. Ces créatures seraient perdues dans les livres comme dans leur tête, et en un mot : dysfonctionnelles. Elles seraient aussi disjointes des appels du présent, derniers défenseurs d’une spécialité qui se pratiquait entre gentlemen de haute lignée à Oxford ou Cambridge, doctes professeurs allemands à barbe et moustache, ou combattants de l’égalité républicaine, tous convaincus que la centralité de leur pratique n’avait d’égale que la centralité de la culture occidentale.
Cette philologie de la certitude parmi les incertitudes, ouvertement déliée de la vie contemporaine, sous tous ses aspects, existe certes; mais elle n’est, aussi, que le reflet d’une pratique et d’une pensée bien plus larges. La philologie la plus consciente, la plus aiguë, comme l’histoire, sait qu’elle existe au présent, et son questionnement du texte repose aussi sur l’interrogation de ses propres conditions d’existence. C’est une philologie à la fois concentrée et reliée : celle que pratiquent, toutes et tous de manière différente, nombre d’analystes aussi bien des textes que de leur temps, opérant un va et vient entre la matérialité textuelle et une forme, non pas d’abstraction, mais d’oscillation d’un texte à l’autre, d’une matière à l’autre. La philologie repose sur la matière de son étude, mais aussi sur la comparaison, cette synkrisis qui était au cœur de la méthode des anciens. La synkrisis s’opère entre deux textes, entre un texte et une image, et peut donc s’opérer entre d’autres matériaux, entre la vie du texte et la vie tout court. La philologie n’est peut-être rien d’autre qu’un mécanisme de synkrisis continu, établissant des chaînes de sens tout du long. La séparation entre vie textuelle et vie extérieure, est une illusion, et le principe même de la philologie est de produire une continuité. Pour des exemples d’existences séparées, on peut en trouver bien d’autres d’existences intégrées. Guillaume Budé, exemple célèbre de son De Philologia, décrit celle-ci comme un objet d’amour supérieur à l’amour érotique, supérieur même à l’amour dû au souverain. Aimer la Philologie qui est-elle même amour du discours, c’est aimer suprêmement l’existence.
Salomon Reinach, le grand historien et archéologue de l’Antiquité grecque, éditeur de textes classiques qu’il contribua souvent à découvrir, fut aussi le proche ami de Liane de Pougy, la courtisane la plus célèbre de son temps, qui lui confia le soin d’éditer sa correspondance avec Natalie Barney. On peut lire cette proximité comme une relation mondaine, un lien social ; on peut aussi y voir, avec plus de profondeur, la trace de ce lien si fort entre philologie et vie. Cette correspondance, c’était sa vie même, le tissu de son existence, qu’elle confiait à un des maîtres du texte. Pierre de Nolhac, qui édita le manuscrit du Canzoniere de Pétrarque, était aussi un prince du monde. Dans ses textes sur Rome recueillis dans Souvenirs d’un vieux Romain, il évoque son rapport à une ville qui n’est pas seulement urbanisme, mais où tout infère le texte. C’est d’ailleurs sans doute une des raisons du succès du Voyage à Rome comme genre : dans cette forme, la vie et le texte se fondent, la vision remplace la fiction. Là, où l’on marche, Cicéron a marché. Là, où l’on regarde, César a été assassiné. Là, exactement. Une grande partie de ces informations repose sur des incertitudes, est de l’ordre de l’invention, de la fiction. Et pourtant, on croit que c’est l’Histoire.
Le fait que la philologie repose sur la reconnaissance de signes, le complément apporté à ces signes, et la construction d’une structure d’ensemble en fait le double exact de l’action du cerveau, et de l’action de fiction. C’est une invention permanente, mais qui ne prétend pas à la nouveauté radicale. On pourrait dire, en jouant sur l’étymologie de « logos », qu’aimer la philologie c’est aimer l’amour de l’ordre : mais plus que l’ordre, la philologie est un ordonnancement, le choix qu’une personne opère à partir d’un matériau, la structure qu’elle lui donne afin de lui fournir un sens. De la sorte, ce sens est aussi bien créé que trouvé, il est proprement inventé.
Voir la philologie seulement comme un système de contraintes, lié aux méthodes d’édition de texte, de transcription, c’est en manquer la force vitale. Bien sûr, c’est « danser dans les chaînes », mais aussi se voir reconnaître une pleine capacité d’arranger, de voir, une liberté vertigineuse même si elle se cache. La liberté du philologue avance masquée, mais elle existe. Ce faisant, elle rejoint l’acte originel du rhapsode, qui cousait les fragments les uns avec les autres, assemblait les épisodes : le rhapsode, c’est le premier auteur, le premier éditeur, c’est aussi le premier philologue, qui établit une édition. Tout, dans la poésie grecque archaïque comme dans les textes bibliques, est affaire d’édition : Homère est un éditeur de texte autant qu’un auteur. Il est l’éditeur des mots que lui indique la muse, de même que le créateur perpétuel d’une version commune du texte. Homère est le nom de plume de tous les philologues avant l’heure qui ont, pendant des siècles, préparé le texte. La poésie est dès son fondement philologique, dans la mesure où elle opère selon une logique d’ordonnancement qui n’est pas nécessairement une logique d’écrit.
Ce retour à l’origine permet aussi d’envisager une sortie de la nécessaire association entre texte, écriture, et réalité tangible, physique. L’acte philologique, une fois radicalisé, n’est pas un acte occidental parce qu’il est un acte du cerveau : il est la transcription narrative, textuelle, de l’action cérébrale. On dit parfois que la langue de l’Europe est la traduction, mais, surtout, la langue de l’Afrique est la traduction, chaque région comptant historiquement des dizaines, sinon des centaines de langues. Ces langues ont pu exister sans écriture, mais elles créent leur propre texte, hors des limites physiques du document, auxquelles elles appartiennent également parfois. Les plus grands textes sont passés par Tombouctou, y ont été réinterprétés, mais la textualité de l’Afrique n’est pas exclusivement documentaire, comme l’a montré Bachir Souleymane Diagne. Sortir le texte de son statut de document et le faire revenir à sa notion originelle de tissu, c’est, en quelque sorte, le rédimer de ses limites : faire sortir la philologie du manuscrit pour la déplacer vers le texte de la langue, c’est s’ouvrir de riches possibilités. Cette approche supprime les limites chronologiques et géographiques : le rhapsode et le griot auraient ainsi, de fait, la même pratique, semblable à celles de toute personne qui écrit et à celle de tout être humain. La philologie n’est pas une île face aux Barbares : elle est le microcosme de l’activité humaine. La philologie est le symbole de la vie.
Paradoxalement, elle remet en perspective le primat de l’écriture : si toute vie est une forme d’écriture/lecture simultanée, alors, le texte écrit, publié, n’a pas de nécessité. Si ce n’est que, face aux structures d’oubli mis en place dans notre monde, la publication est le seul moyen de produire de la mémoire. La citation du Phèdre selon laquelle « l’écriture est un art de la mémoire et non du souvenir », marque combien elle est à la fois le poison et le contrepoison : elle détruit le souvenir, et le remplace par la mémoire, seule possibilité de conserver trace des paroles, des faits, des existences. Si on radicalisait cette conception de la philologie, on pourrait envisager un monde sans écrit puisque tout serait texte, ou en tout cas un monde où l’écrit existerait parmi une pluralité de formes d’inscriptions dans la vie. L’écriture même apparaîtrait alors comme une forme, parmi d’autres, d’inscription dans la vie. Cependant, du fait de la force de suppression liée au cycle de la vie, toute création impliquant une oblitération selon le rythme de la métamorphose, le texte documentaire serait comme une sorte de métonymie du texte du monde. Ce ne serait donc pas une contradiction du monde, mais au contraire un signal. Le texte ne serait pas un rempart de la vie, mais un signal toujours lumineux des formes de vie, au temps où les autres formes de transmission, notamment orale, voir même visuelle, se sont affaiblies. Le texte a provoqué la mort du souvenir, et s’impose donc comme seul mode de la mémoire. Les philologues peuvent donc croire que leur vie est le texte, qui a remplacé la vie, mais pour être pleinement philologues il faut aussi réintroduire le souvenir dans la vie, recréer les lignées de transmission. Peut-être, pour être philologue, faut-il être prêts a abandonner les livres. On retrouve là tous les récits de savants qui, à force de lire et de travailler, quittèrent la vie de livre : l’exemple de Nick Land. La bibliothèque est un microcosme du monde, et pas seulement un refuge. Son action n’est forte que quand on sorte.
Que se passerait-il si un philologue fréquentait CBGB ? Sylvère Lotringer a voulu être ce philologue. Les lancements des premiers volumes de Semiotext(e) avait lieu dans des nightclubs. Il voulait que l’on puisse danser avec le magazine, conçu par des étudiants en doctorat de Columbia University et empli de nouveaux essais critiques de Félix Guattari, Gilles Deleuze, Michel Foucault, John Cage, des Black Panthers… Sylvère Lotringer n’a cessé de voir le lien entre les formes les plus intenses de textes qui brûlaient les yeux et de vie qui brûlait les corps. La drogue, le sexe, la danse jusqu’au bout de la nuit : c’était ainsi qu’il fallait découvrir les pensées de Nietzsche, avec la même intensité et sans séparation. La clarté de la vie intensifiée n’est pas la même que celle des lecteurs dans la bibliothèque : et pourtant… On pourrait, paradoxe suprême, s’interroger s’il n’y a pas comme une intoxication des textes, et la justesse du regard à 4h du matin, après avoir entendu la poésie rythmée de Richard Hell and the Voodoids. Le succès de Richard Hell, au-delà de son apparence si caractéristique qui définit un genre, c’est bien d’avoir créé une forme où la musique n’accompagne pas la poésie, où la poésie n’est pas composée pour la musique, mais où les deux ne font qu’une. Cette union de deux intensités en une manifestation de vie, c’est aussi une façon de radicaliser et la musique et la poésie : l’ouïe et le langage s’assemblent dans une expérience sensible et intellectuelle. En fait, ce pourrait être une radicalisation de la notion même de philologie, qui n’est pas simplement la collation des éléments, c’est aussi le contact de la page, l’expérience sensible.
Que se passe-t-il si un philologue va sur les terrains de guerre ? Les philologues pensent avoir tout vu, tout entendu, parce qu’ils ont la connaissance transmise par les livres. Ils ont la connaissance extraite de toutes les connaissances : et, à la différence des historiens, avec lesquels ils ont pourtant partie liée, le récit n’est pas tant leur but que les conditions du récit, la structure matérielle. Ils ont moins d’ambition, bien moins que la philosophie, mais leur discours se doit d’être ancré. La nature de l’interprétation philologique est davantage de l’ordre de l’oscillation que de l’abstraction : il s’agit davantage d’un mouvement entre les sources que d’un grand discours englobant. Mais que se passe-t-il quand la confrontation a la matière est directe ? La philologie peut-elle exister face à la souffrance, la peur chevillée au ventre ? Cela a-t-il un sens, en philologue classique, d’y aller ? Y a-t-il des terrains qui empêchent la philologie ?
Ces questions ouvrent la possibilité d’une philologie de l’existence : car les reporters de guerre sont, eux aussi, des philologues, qui savent reconnaître les dangers, les visages, trouver les informations. En retour, le fondement de la philologie tient au degré de spécialité et de connaissance de ses praticiens. Un philologue est spécialiste d’un certain fragment du texte du monde, et il convient qu’il puisse s’y concentrer : la sortie comparative, la synkrisis, doit être ancrée dans le fragment initial, de manière à ne pas perdre l’ancrage, l’angle de lecture du texte qui fait la légitimité de la pratique philologique. Sans ce fondement textuel il n’est pas de philologie. Si la confrontation est ancrée dans un premier texte, alors, elle peut s’opérer, selon un jeu de comparaison. La vie est le champ des philologues classiques, en lien avec la vie des textes. Mais il faut reconnaître aux reporters de guerre la possibilité de venir eux aussi au texte, de la guerre.
La question se pose alors de la séparation, de la délimitation entre le texte et la vie : sont ils de même nature, ou deux tissus différents unis dans un même vêtement, la robe du monde ? Peut on envisager une unité qui permettrait de définir des règles de lecture et d’écriture universelles, applicables à toute matière ? Il semble nécessaire de reconnaître, en premier lieu, l’activité philologique de l’esprit ; et, en second lieu, la démultiplication de toutes les formes d’action philologique, qui peuvent se manifester dans bien des champs différents, dans tous les champs, en réalité. On pourrait alors étendre la philologie à toute forme de technique attentive. Une troisième forme de philologie pourrait ensuite surgir, une forme comparative, mais elle risquerait alors de perdre sa spécificité, et de s’approcher dangereusement de l’art des abstractions, la philosophie. La philologie peut, comme la philosophie, s’étendre et présenter des propositions, mais elle ne le fait pas, contrairement à la philosophie dans une perspective de contemplation : elle aspire à demeurer dans le grain du texte, le grain de la matière, même si une oscillation ouvre un chemin vers une relecture. La vie serait, selon ce schéma, le premier objet de la philologie, donc le texte écrit, documentaire, serait alors une déduction, un complément, une suite. La vie : premier texte de la philologie.
La philologie, ce n’est pas Allan Kaprow, l’effacement des frontières entre l’art et la vie, la volonté de faire qu’entre les deux il n’y ait plus de différence, comme si le but de l’art était de s’intégrer sans la moindre séparation avec la vie. La philologie opère à partir d’une matière précise, et ne peut donc exister à l’état gazeux. La philologie sans frontière, c’est le risque de la folie : le cas Nietzsche, de nouveau. Mais la philologie dans la conversation, c’est l’ouverture des possibles. La philologie n’existe pas sans cadre. Le texte du monde et le texte écrit ne sont pas d’une même étoffe. Il existe une multitude de tissus, et le texte de la vie les englobe tous. En réalité, dans la philologie de la vie, le texte écrit, les manuscrits, les papyrus, sont la forme minoritaire.
La philologie maintient possible l’ouverture d’un espace au minoritaire : le ou la philologue est toujours minoritaire en puissance, si il ou elle prend au sérieux sa tâche. En effet, l’édition repose sur le fait de se confronter à toutes les voix qui ont précédé, d’envisager la prendre à revers toute leur autorité. La philologie est donc une activité à la fois très solitaire - quel sentiment peut donc s’emparer de qui envisage un instant de contredire toute la tradition -, la voix majoritaire dans son intégralité et publique, puisque l’on existe avec toutes ces voix. Nietzsche est l’une des incarnations les plus puissantes d’une philologie qu’il tenta de redéfinir : contre Wilamowitz, contre la tradition historiciste documentaire, pour l’autre côté de la philologie, celui aux prises avec la vie. Or Nietzsche, c’est une pensée du minoritaire : de l’individu seul, face au troupeau majoritaire qui le nie. On a pu voir dans son vitalisme une défense de la force, de la violence ; mais c’est aussi l’exposition des conditions de survie du minoritaire. On fait souvent la remarque que les minoritaires, au travers de toutes les formes de minorité, sont en fait majoritaires, simplement le principe même de la minorité est d’être un fragment, un éclat, de la communauté ; tandis que la majorité, pour sa part, prétend être une. Or la philologie est par excellence l’art des minoritaires reliés pour créer une majorité : ce n’est pas un discours majoritaire, mais une série de petites voix qui s’assemblent pour composer un chœur. La philologie, c’est le chœur des petites voix des lecteurs et des lectrices, dont l’individualité est encore infiniment audible.
Qu’advient-il quand ce chœur ne suit pas le modèle de Bach, mais de Sid Vicious ? Qu’en peut-il être d’une philologie punk ? Est-ce là un oxymore, ou une réalité ? Il en est de la philologie comme de la philosophie : l’aspiration est une, mais les formes en sont multiples, plus multiples encore du fait de l’acceptation d’une adhésion à une vie elle-même ouverte et multiple. Il pourrait donc y avoir une philologie punk comme il peut y avoir une philologie de la séparation, expérimentale. Rien ne pourrait venir s’y opposer. Car cette séparation apparente des domaines, le texte, la vie, l’œuvre, les sentiments, existe comme un schéma, comme un principe destiné à être toujours battu en brèche. C’est cet effort-là qui permet à la philologie de se mesurer, de savoir où elle peut, et ne peut pas aller. Elle permet aussi de comprendre que la philologie n’est pas simplement un domaine du savoir : c’est en fait la méthode de connaissance qui englobe toutes les autres, avec un juste mélange de précision et de distance. Les sensations de la philologie changent sans cesse : il n’y aurait pas une manière, juste, de vivre la philologie. Le seul principe sine quo non, c’est une forme d’attention, de précision. Sans attention, pas de philologie ; sans texte, sans livre, avec seulement le souvenir, il peut absolument y avoir une forme aiguë de philologie. L’exemple fameux de Erich Auerbach, qui avait sa bibliothèque intégralement dans la tête.
Les livres sont là pour continuer les bibliothèques des vies, mais la vie est la bibliothèque suprême, qui néanmoins brûle à la fin de chaque existence. Quand on étudie un texte, on ne peut le faire qu’en mesurant le caractère fragmentaire, limité, de ce que l’on lit. Pourtant, en le faisant, on a néanmoins accès à un fragment infime d’une bibliothèque qui a tenu. On ne peut le faire sans le sentiment intense et intime de la vie. Quand on danse, qu’on se perd au milieu de la nuit d’une rave party, dans une prairie avec des personnes connues et inconnues, qu’on reconnaît à peine parmi les taillis, c’est aussi le sentiment de la vie qui est offerte.
Les deux semblent opposées : l’une patiente, aspirante, modeste, l’autre aux sens affolés. Mais elles sont les deux côtés d’une même réalité : l’expérience que fait Foucault des nuits de San Francisco est contemporaine de ses travaux philologiques sur les textes stoïciens et patristiques ; les nuits au Palace de Barthes de ses travaux sémiologiques, forme contemporaine de philologie. Rien n’est isolé : même si l’on choisit de séparer, tout est en réalité lié, soit dans l’illusion d’une dichotomie, soit dans l’honnêteté d’une unité plurielle. On peut, comme Proust, vouloir le nier, tenter d’affirmer les deux vies, les deux mondes : cette tentative même est une illusion, et l’illusion d’une illusion. Car l’intensité de la rave party a encore plus de sens quand les lendemains ne sont pas tristes et gris, mais quand ils prennent une intensité encore plus grande, plus belle, plus forte, pour être différente : ce complément du regard, c’est ce qu’apporte la philologie.
Il n’est pas un autre monde parfait et un monde présent décevant, suivant la théologie de la philosophie ; il est un monde, seul, dans lequel existe une myriade de mondes, et où tout peut être lu, à mesure de ses recherches. Les corps dans la nuit, les textes dans le jour, les textes dans la nuit, les corps dans le jour, les paysages : la lecture n’est pas alors une expérience passive, semi active, ou apparemment inactive. Elle est la plus active des expériences, mais elle n’offre pas nécessairement la dramatisation de son activité. La danse des nuits, en revanche, offre la performance, mais jusqu’aux limites de son inconscience, elle est aussi pleine de faits, d’idées, de pensées de songe. Accepter que ces deux mondes ne sont pas éloignés, c’est accomplir l’acte philologique premier : percevoir toutes les idées préconçues, les noter, les analyser même, pour pouvoir ensuite s’en libérer. C’est le point de départ de la philologie dans son sens le plus étroit, et c’est aussi ce qu’elle apporte aux vies, son primat dans l’existence. Si, à six heures du matin, quand le soleil se lève, son lever ne signifie pas la tristesse, mais au contraire l’excitation du possible retour au texte, c’est qu’on incarne la figure parfaite de la philologie punk. Si les nuits alternent analyse d’une image récurrente dans l’iconographie et considération sur l’abandon de soi, alors c’est bien dans la philologie punk que l’on demeure. Car la philologie comme le punk sont à la fois l’accomplissement et l’abandon de la centralité du sujet constitué, par opposition à toutes les autres formes d’existence. C’est le prix à payer, et la merveilleuse offrande, qu’elle réserve au monde.